dimanche 21 décembre 2008

Question de style


Qu'est-ce que le style ?

Cette question me trotte dans l'esprit depuis près de deux semaines maintenant, et j'avoue rester perplexe. Comment le définir ? Comment le mesurer ? Le style peut-il s'apprendre ?
Bien sûr le mot style peut s'appliquer à de nombreuses choses : une peinture, un vêtement, un texte, une manière d'être...
Mais je pose ici la question du style littéraire. A mes questions, le Petit Robert répond d'une façon complexe : "Aspect de l'expression littéraire, dû à la mise en oeuvre de moyens d'expressions donc le choix résulte, dans le conception classique, des conditions du sujet et du genre, et dans la conception moderne, de la réaction personnelle de l'auteur en situation". Passons sur la conception classique, car la notion de genre est de moins en moins d'actualité. Mais intéressons-nous à la conception moderne : mise en oeuvre d'expressions dont le choix résulte de la réaction personnelle de l'auteur en situation. Totale relativité ici. Aucune règle, aucune norme. Donc je n'avance pas dans la résolution de mon problème.

Comment savoir si quelqu'un a "du style" ou non ? Peut être au fait qu'on peut reconnaître son écriture parmi d'autres. Mais si je peux reconnaître le style de Barbara Cartland, est-ce à dire qu'elle en a un ? Oui, chaque personne qui écrit a UN style. Mais avoir "DU style" est autre chose. Là encore, question de subjectivité et de relativité. Mais on peut s'accorder, au delà des question de goûts, à dire de certaines personnes qu'elles ont "du style". Balzac, Maupassant, Hugo, Cendrars, Duras, voilà du style ! Pour les grands auteurs, on s'accorde.
Mais l'accord naît surtout de l'idée que le style vient de la capacité à exprimer des idées personnelles. Valéry écrit : "le style est une question non de technique, mais de vision". Et Buffon : "Le style doit graver des pensées, ils [les écrivains qui n'ont pas de style] ne savent que tracer des paroles". Pour lui, le style se mesure par les "vérités qu'il présente".
Mais avec le développement actuel des médias, les journaux sur internet, les blogs, que penser ? Toute personne ayant des idées fondées a-t-elle du style ? Non, bien sûr. Mais alors quoi ?
Chateaubriand a écrit que le style, "c'est le don du ciel, c'est le talent". Si la vérité est dans cette phrase, les personnes ayant du style doivent se compter sur les doigts de quelques mains.
Mais j'en suis venue à penser que le style est quelque chose comme avoir une patte personnelle, une façon spéciale d'exprimer des idées, une caractéristique qui marque, qui donne à l'écriture son unicité. La notion d'unicité me semble d'ailleurs fondamentale. Bien sûr, qui sommes-nous pour en juger ? Mais une personne qui lit beaucoup, qui lit des choses très différentes, qui a une culture littéraire, doit pouvoir sentir du style quand elle en croise.
On a donc parlé du style comme fond, et comme forme. Le vrai est probablement dans la jonction des deux. Écrivez bien des choses insensées, ou écrivez mal des idées fortes, et le style n'y trouve pas son compte.

A la question de savoir si le style s'apprend, Valéry répond : "Cela ne s'acquiert pas, mais cela se développe". Si l'on suit Chateaubriand et Valéry, le style ne s'invente pas. On l'a ou on ne l'a pas. Et même si on l'a, cela ne suffit pas. Ça se travaille, ça se retouche, ça évolue. Pleurez si vous n'avez pas reçu le style en héritage !

Découvrir l'opinion de ces "grands", même ça ne m'a pas permis de trouver LA réponse, (et je doute qu'il y en ait une seule), m'a permis de comprendre un peu plus l'essence de cette chose insaisissable qu'est le style. Matière, façon de l'exprimer, don...
Mais je crois que le style est avant tout quelque chose à inventer personnellement et de façon indépendante, une voie à trouver... Et pour cela, je cite Jules Renard : "Le style, c'est l'oubli de tous les styles".

jeudi 11 décembre 2008

Burn after watching ?


La semaine dernière, Burn after reading, la dernière production des frères Coen.
La première chose que je dois dire, c'est que j'ai ri... Beaucoup même. Et bien, d'un bon rire, provoqué par du vrai comique de situation ou de jeu. Et ça faisait longtemps que je n'avais pas tant ri, bien ri devant un film.
Burn after reading, c'est avant tout l'histoire de cinq paumés, des losers. Ils sont petits, ont des vies petites, sont enlaidis par leurs petites obsessions (chirurgie esthétique, sport, sexe, alcool...). Ils mentent, volent, font du chantage, tuent.
Ce "pitch" de départ est servi par une bande d'acteurs extraordinaires. On a beaucoup glosé sur le contre-emploi qui est fait de George Clooney et de Brad Pitt, mais ce n'est pas ça qui compte. Ce qui compte est leur talent. Ils ont su (et ils ont du beaucoup s'amuser en le faisant) rentrer complètement dans leurs rôles respectifs. Brad Pitt fait jeune et franchement con, Clooney fait ringard et lâche... Et la preuve de leur talent, c'est qu'ils ne sont pas attachants : même si on reconnaît Clooney, on ne l'estime pas, on ne l'apprécie pas, malgré qu'on en soit fan, et il en va de même avec les autres. Et quand il leur arrive quelque chose, on ne s'émeut pas.
Le talent des acteurs est donc un des grands atouts du film. Mais les frères Coen ne se sont pas contentés de réunir les meilleurs acteurs de leur carnet d'adresse. Par l'absurde, par le ridicule, ils ont su montrer les effets de la bêtise, de l'étroitesse d'esprit et de la peur sur des gens normaux. La normalité et l'anormalité sont d'ailleurs des sujets fondamentaux ici. Le film est un engrenage fou, une suite loufoque de rebondissements qui vont amener au drame.
Pas de beauté ici, pas de nobles sentiments, le sexe et l'intérêt guident tout et tous.
Une certaine cruauté donc, on rit de la bassesse des personnages, mais finalement, les frères Coen nous montrent là l'humanité dans toute sa (triste ?) réalité.

mercredi 3 décembre 2008

Hommage à Jean Aubin

J'ai appris aujourd'hui le décès du peintre Jean Aubin.
Depuis que je suis toute petite, Jean Aubin a fait partie de mes vacances. Avec mes grands-parents, nous allions le voir dans sa maison près de Poitiers, il nous entraînait alors dans son atelier, au sous-sol, et, pendant que j'écoutais, émerveillée, nous parlait inlassablement, et passionnément de son travail.
Passionné, Jean Aubin l'était. Il était professeur d'arts plastiques, mais il a toujours créé.
Je me rappelle de certaines de ses "phases expérimentales" : il y a eu l'époque où il créait des cadres incroyables, en bois, mais avec des petits cachettes, des trappes à soulever, et derrière lesquelles on trouvait de petits poèmes de sa plume.
Ses aquarelles étaient captivantes de lumière et de finesse... Je pense par exemple à celle intitulée "Vouloir marcher pieds nus dans la rosée", qui n'était qu'une explosion de douces couleurs, et devant laquelle on sentait effectivement la rosée sous nos pieds...
Il était aussi un incroyable technicien, un inventeur. Il a fait des émaux, des sculptures...
Jean Aubin, c'était un bouillonnement permanent d'idées, une technique élaborée, une peinture drôle et belle, un humour infini (son tableau "Passerelle pour les anges aptères" m'a longtemps interrogé, et toujours fasciné), un rire trés communicatif, une gentillesse, une bonté, une volonté de partage...
Je le garderai toujours en mémoire, et ses deux aquarelles sur mes murs seront des hommages quotidiens à une trés belle personne...

mardi 2 décembre 2008

Venise à Bâle


Going to the Ball (San Martino), William Turner, 1846.

Samedi, expédition à Bâle, pour voir l'exposition "Venise" à la Fondation Beyeler.
L'expo thématique présente des oeuvres d'une douzaine de très grands peintres, sur le thème de la Sérénissime. Par salle, on découvre des chefs d'oeuvres de Canaletto, de Francesco Guardi, de Turner, de Monet, Manet, Renoir, Signac, Redon, Whistler, Sargent... En tout 150 oeuvres pour nous émerveiller et nous faire voyager.
Avant de commenter les oeuvres, je voudrais dire un mot de mon expérience suisse. J'ai en effet pu découvrir la "manière" suisse pour une grande expo telle que "Venise". J'ai d'abord remarqué la sobriété de la muséographie. Beaucoup de blanc, trés peu de salles peintes autrement, des cartels transparents, et chose plus surprenante pour la française que je suis, aucun texte sur les murs. Les textes sont sur un dépliant disponible à l'entrée. La notice est ciblée sur certaines oeuvres, d'autres sont absentes. Il n'y a pas vraiment d'explications sur le lien entre les oeuvres, ou sur le choix des artistes. Sobriété excessive ?
En tout cas, je dois dire que l'évolution de l'ensemble est réussie : on avance de façon fluide d'oeuvre en oeuvre, de période en période, de style en style. Et il y en a pour tous les goûts. Certains peuvent admirer la précision d'un Canaletto, d'autres la vie présente dans une vedute de Guardi, ou le fourmillement des toiles de Signac, la matière fabuleuse des oeuvres de Redon, la puissance évocative des eaux fortes de Whistler, ou enfin la vérité des personnages de Sargent...
Personnellement, j'ai été fascinée par Turner. Sa Salute dorée, ses visions fantomatiques de Venise, pourtant toujours bien présente derrière la brume... La ville disparait peu à peu, avec l'avancée du peintre dans son expérience picturale de réenchentement du monde. Ses vues deviennent de plus en plus absentes, mais paradoxalement, on ressent toujours plus la magie du lieu, son indicible évanescence... Ses aquarelles ont elles la modernité d'un Monet, et la fulgurance d'un Nolde. Leur légéreté leur donne une présence incroyable. Tout est paradoxal chez Turner, mais j'ai eu l'impression qu'il est celui qui, le mieux, a su capter le sens caché de cette ville si mystérieuse qu'est Venise. Il a compris que sa fragilité, et son inextricable constitution de trois éléments, air, terre et eau, lui donnent sa force et son unicité. Un Turner, c'est une ode à Venise !
Cette riche exposition a donc été un beau voyage dans la peinture, le temps, et l'espace...

Le Palais Contarini, Claude Monet, 1908.

A chaud : Stravinski sous la pyramide

Expérience puissante ce soir au Louvre : Pierre Boulez a dirigé L'Oiseau de feu sous la pyramide.
Le chef d'orchestre connu mondialement a donc fait don de son temps et de son talent aux 2000 personnes assises par terre, sous le ciel parisien, avec l'orchestre de Paris sous sa direction.
L'impression de cette foule rassemblée pour de la musique classique, qui plus est pour une oeuvre un peu difficile, cette pyramide illuminée successivement de rouge, de jaune, de vert, tout ceci a conféré au concert une touche magique. Des jeunes, des moins jeunes, un bébé, qui a largement exprimé son opinion pendant le Premier tableau... Et puis Stravinski. Son oeuvre imagée, puissante... On sursaute à un enflement soudain de l'orchestre, à cette musique parfois brutale et primitive. Puis on s'attendrit sur une mélodie sinueuse pleine de douceur et d'élégance. Et quoi qu'il arrive, on frissonne.
Le souffle de la partition est parfaitement rendu par l'Orchestre de Paris, qui a joué avec justesse et subtilité. Boulez a bien su donné à son public la véritable dimension de cette oeuvre majeure, et pourtant premier ballet du jeune Stravinski. Il m'a semblé que la foule (moi comprise) a mis une bonne dizaine de minutes à rentrer dans l'oeuvre, car le vrai silence a mis ce temps à s'étendre. Mais une fois entrés dans l'atmosphère, nous avons tous vécu ces quelques minutes au rythme lumineux, drôle et vibrant de la musique de Stravinski.
La communion de tous ces gens, la présence de Boulez, les acclamations enthousiastes à la fin, et surtout surtout l'Oiseau de feu... Une soirée marquante, mais trop courte. On en redemande !