dimanche 27 décembre 2009

A VOIR ABSOLUMENT !


De la puissance...
De la puissance d'un texte, incarné par un grand acteur.

Beckett, "Premier Amour", 1945. Dit par Sami Frey au théâtre de l'Atelier à Montmartre.

C'est l'histoire d'un type. Un drôle de type, c'est le moins qu'on puisse dire. Qui se fait virer de chez ses parents à la mort de son père, et se met à traîner. Il traîne, il dort dehors, dans un monde indéfini, sans aucun nom de ville.

Puis une fille se pointe sur son banc. Ça le gêne, mais il finit par penser à elle. Il écrit même son nom, Lulu, sur des bouses de vache avec son doigt (sic). Puis après quelques rencontres, il s'installe chez elle, enfermé dans une pièce de son appartement, et elle lui apporte à manger. Et quand leur bébé, résultat d'une unique nuit d'amour, naît, il s'en va. Les cris le gênent... Et il repart traîner.
Sami Frey est le personnage. Il est cet homme qui traîne.
Il est enroulé dans un vieil imper, et il est le type. On sent en lui la nonchalance, mieux, le désintérêt complet de cet homme pour le monde. Sa voix, son corps, son visage, son inexpressivité, tout ça, c'est du Beckett incarné. Monde étrange.

Le texte est incroyable. Dur, tranchant, misogyne, misanthrope, visionnaire, politiquement incorrect. Et drôle. Vraiment drôle, mais sombrement drôle.
Au delà de sa constipation et de son goût pour les cimetières, qui sentent bon les corps en décomposition, (et il trouve quand même que c'est mieux comme odeur que celle des vivants, qui puent), c'est le décalage du type, qu'il soit si perdu, si impossible, qui fait rire.

Florilège : "Le tort qu'on a, c'est d'adresser la parole aux gens".
"Ce qu'on appelle l'amour, c'est l'exil".
Je vais le relire pour embrasser encore mieux la puissance de la chose.

Beckett par Sami Frey, c'est la quintessence. La quintessence de l'absurde et du cruel, du surréaliste et du vrai. Du vrai de l'homme, animal solitaire au fond.

Un moment fort. Allez-y vite !!

lundi 14 décembre 2009

Albert Oehlen, FM 18, 230*270cm
Albert Oehlen, FM 19, 230*270cm

Albert Oehlen, FM 16, 230*270cm.

Une si belle découverte...

Vendredi dernier, j'ai bravé le mauvais temps pour aller voir l'exposition sur Albert Oehlen au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, qui dure jusqu'au 3 janvier.

Je ne parlerai que peu ici de l'exposition en elle-même, qui s'intitule "Réalité abstraite". Elle a été organisée en étroite collaboration avec l'artiste. Le propos est de mettre face à face des œuvres des années 1880-1890 et des œuvres de 2008.

Les premières œuvres sont très denses, lourdement colorées. Elles ont une grande présence. On rapprochait alors Oehlen du mouvement punk ou de Pollock car il faisait de l'action painting et du dripping (faire goutter de la peinture sur la toile ou la projeter). Je n'ai pas d'images mais ce sont des œuvres puissantes, presque aveuglantes. On sent une certaine violence, et la brutalité avec laquelle sont appliquées les couleurs ne fait que renforcer cette impression. Les toiles sont des sources de vie intenses.

Les œuvres de 2008 sont différentes, mais on sent bien le lien avec les précédentes, le chemin qu'a suivi le peintre, vers une pureté plus grande. Il exprime l'idée de ne vouloir représenter que ce qu'il trouve "merveilleux". Il dit essayer de "manier les couleurs avec soin".

Le résultat est fascinant (je mets mes 3 toiles préférées au dessus). Alors qu'avant les œuvres regorgeaient de couleurs, qui semblaient presque déborder de la toile, on voit maintenant beaucoup du fond blanc.
Les couleurs sont comme des flux, des dynamiques. Elles traversent l'œuvre, elles ralentissent parfois, s'accélèrent, deviennent floues, se mêlent, s'évanouissent...
Ce sont des couleurs à la fois douces et puissantes. On y trouve les harmonies les plus inattendues. Quand je me suis approchée, j'ai souri, j'ai aimé.

On trouve, parsemés dans les œuvres, des morceaux d'affiches ou de publicité. Petits bouts de réalité dans le monde de l'artiste, auxquels on se raccroche, mais la réalité est vite entraînée par la couleur et ses courants.
On sent dans ces toiles un flux continu d'inspiration, comme si le peintre était physiquement guidé par ses émotions. Liberté et beauté du geste.

L'œuvre ci-dessous était aussi dans l'expo, et elle a, je trouve, une fraîcheur et une légèreté incroyables.
J'ai fait une très belle découverte en allant à cette expo, j'en garde un souvenir presque ému, et je crois bien que je vais y retourner, et regarder les toiles encore plus longtemps que la première fois...
Albert Oehlen, titre manquant, 2008.

Bref, je vous recommande chaudement d'aller faire un tour au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, qui par ailleurs est un très beau musée, sous-estimé par le public, et de vous faire un petit plaisir d'avant Noël en allant faire le plein de couleurs, d'abstraction et de poésie contemporaine !

PAS CONTENTE !

Longue interruption depuis mon dernier post...
Cette année, je manquerai de temps pour écrire sur mon blog, et je m'en excuse.
Mais je reviens aujourd'hui !
Avec un billet d'humeur... comme mon titre l'indique.

Je suis allée voir dimanche dernier l'exposition du musée Marmottan intitulée "Fauves et expressionnistes dans la collection du musée Von der Heydt à Wuppertal".
Le principe est simple. Wuppertal est une ville qui bénéficia des dons abondants de la famille Von der Heydt, qui était très proche de nombreux artistes d'avant-garde du début du XXe siècle, comme ceux de "die Brücke", du "Blau Reiter", les fauves français, puis les expressionnistes allemands après la Première Guerre Mondiale.
Et le musée Marmottan expose une sélection de ces œuvres.

La sélection est belle. Quelques chefs-d’œuvre, selon mon humble avis, comme ce petit Kandinsky, les rues de Munich.

Kandinsky, Maisons à Munich, 1908, musée Von der Heyt, Wuppertal

August Macke, Paysage avec trois jeunes filles, 1911, musée Von der Heydt, Wuppertal.

Je ne mets ici que deux reproductions, mais de nombreux tableaux sont de très bonne qualité et illustrent bien, pour un connaisseur de la période, les influences, la modernité et les évolutions de ces artistes modernes.

Mais c'est bien là qu'est l'os, si je peux me permettre. En terme d'explications, on ne trouve que deux panneaux dans l'exposition : l'un expliquant l'histoire du musée Von der Heydt, et l'autre le thème de l'exposition. Je ne me rappelle pas la formulation précise, mais le principe de l'exposition est de montrer le fil qui relie les différents courants que j'ai cités plus haut. Bon. Cela me semble être un bon programme. Et effectivement, l'ensemble d'œuvres serait un terrain parfait pour montrer les différences et les influences entre groupes et artistes.

Mais une fois passés ces deux panneaux, plus rien. Le musée s'est contenté d'exposer les œuvres les unes après les autres, dans un ordre qui semble pouvoir être remis en cause, sans expliquer en aucune façon quelle est la différence entre "die Brücke" et le "Blau Reiter", ou quelles sont les origines du mouvement expressionniste.

Les œuvres se suivent, ne se ressemblent certes pas, mais un simple visiteur, non spécialiste du début du XXe siècle en Allemagne (je m'inclue dans cette définition) a beaucoup (trop) de mal à comprendre quoi est quoi, quoi vient d'où et pourquoi.

Ce qui est scandaleux. Depuis quand faire une exposition temporaire se réduit-il à un accrochage ? Où est la réflexion ? Où est la pédagogie ? Où est le guidage du néophyte parmi des œuvres certes belles mais tout de même déjà complexes ? Où est le propos ?

Si vous voulez comprendre, il vous faudra, en plus des 9 euros du ticket d'entrée, acheter pour 29 euros le catalogue, et là tout est expliqué. A nouveau une question : depuis quand faut-il acheter un catalogue pour comprendre une exposition ? Pour approfondir certes, mais pas pour comprendre...

Comme je l'ai dit dans mon titre, je ne suis pas contente. Et là, je me retiens, je ne rentre pas dans les détails. Je suis déçue. Car comme je l'ai dit, les œuvres sont belles, difficiles, riches de sens et de nouveauté. Il faut aller les voir, car elles ne seront pas visibles de sitôt en France après cette expo. Mais l'absence complète d'idée, de concept, m'a gâché mon plaisir.

Pour retrouver ma sérénité, je me tourne vers Kandinsky, Macke, et Erbslöh. Je respire, je me remplis de leurs couleurs puissantes, encore plus belles en vrai, et, doucement mais sûrement, je souris de plaisir.

Adolf Erbslöh, Jeune fille à la jupe rouge, 1910, musée Von der Heydt, Wuppertal